13 décembre 2008

MediaPart : Sans-papiers : la police vient chercher des enfants à l'école

Sans-papiers : la police vient chercher des enfants à l’école

« Vous avez observé que, depuis que je suis en fonction, il n’y a pas eu une seule interpellation à proximité d’une école, il n’y en a pas eu une seule, ce sont des consignes très strictes que j’ai données parce que j’ai bien compris ce que cela pouvait avoir de traumatisant » : voilà ce que déclarait le ministre de l’immigration et de l’identité nationale le 8 septembre au micro de France Inter. Pourtant, quelques semaines plus tard, la police est venue chercher à l’école trois garçons dont les parents étaient en situation irrégulière.

Cela s’est produit lundi 24 novembre, à Grenoble dans l’Isère. Après avoir passé une nuit au centre de rétention administrative (CRA) de Lyon, la famille Kurtishi, originaire du Kosovo, a été renvoyée à Leipzig en Allemagne.

« Nos enfants ont assisté au départ précipité de trois de leurs camarades (...). Comme nos enfants, nous sommes choqués par cet événement. Nous tenons à exprimer notre profonde indignation face à la présence de la police dans l’enceinte de l’école et face au départ contraint de trois enfants pendant la classe », ont écrit plusieurs parents d’élèves réunis dans un Collectif du jardin de ville, du nom du groupe scolaire concerné. Une réunion est prévue jeudi 4 décembre en fin d’après-midi pour faire le point sur la situation. Une intersyndicale SNUipp, Sud Education, SE-UNSA, FSU, SGEN-CFDT et PAS 38 a exigé des « explications » au préfet et à l’inspectrice d’académie.

La fille de Rachel Catheline était dans la même classe, en CE2, que l’aîné des enfants. Jashko était en primaire, Ricardo et Muhamed à la maternelle, dans l’école d’en face. « Les parents étaient sans papiers. Ils ont été convoqués lundi à la préfecture. On leur a notifié qu’ils étaient sous le coup du règlement Dublin II [selon lequel le premier pays d’accès dans l’Union européenne est considéré comme responsable du traitement de la demande d’asile, dans ce cas l’Allemagne]. De là, ils sont venus à l’école, escortés par la police. Quand ils sont arrivés, la cloche n’avait pas sonné, les enfants étaient encore dans les classes. Le père a récupéré le grand en primaire et la mère est allée chercher les deux petits. Le capitaine de police est entré dans l’enceinte de l’école maternelle », dit-elle. « On savait que quelque chose se tramait, poursuit-elle, puisque le week-end précédent, la maîtresse avait mis un mot dans le cahier de liaison pour dire que Jashko était en cours d’expulsion. On savait qu’on allait devoir se mobiliser, mais on ne savait pas que ça irait si vite. La maîtresse avait demandé aux enfants de faire des dessins pour le petit garçon. Ma fille m’a dit lundi soir qu’elle n’avait pas eu le temps de lui donner le sien parce qu’il était déjà parti. »

Le réseau Education sans frontières (RESF) a été prévenu, la Cimade aussi, « mais il était trop tard », dit Rachel Catheline. Depuis, les parents d’élève peinent à avoir des nouvelles de la famille. Seule l’assistante d’éducation de l’école primaire est parvenue à joindre Jashko alors qu’il était enfermé dans le centre de rétention. Il lui aurait dit qu’il ne voulait pas partir, pas plus que sa famille, mais qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.

La directrice de l’école invoque un « droit de réserve »

La version de la préfecture est tout autre. Elle fait état d’une démarche « volontaire » de la famille Kurtishi, ce dont doutent les parents d’élève. Dans une lettre dont ceux-ci ont eu connaissance, le préfet décrit, à sa manière, l’enchaînement des faits : les parents avaient déposé une demande d’asile politique « dès leur arrivée en France, le 11 septembre 2008 » ; les « intéressés » étaient « connus en Allemagne, où ils sont entrés en 2004 » ; le père des enfants « a bien compris que les autorités françaises ne pouvaient pas examiner sa demande d’asile et a donc préféré rejoindre l’Allemagne ». Quant au capitaine de police, c’est, toujours selon le préfet, « la responsable de l’école maternelle » qui lui « a fait signe de venir car elle ne comprenait pas ce que lui disait Mme Kurtishi, et compte tenu du froid a demandé à tous de rentrer dans l’école ». Au CRA de Lyon, où la famille a été conduite, « tous ses droits lui ont, bien sûr, été notifiés, dont la possibilité d’un recours juridictionnel devant le tribunal administratif », assure le préfet, Michel Morin, dans cette lettre. Des informations toutefois difficiles à vérifier puisque la famille n’avait pas d’avocat. Le vol vers l’Allemagne a décollé mardi 25 novembre à 11h30, soit moins de 24 heures après que les enfants ont été sortis de l’école.

Contacté par Mediapart, le préfet estime que les parents d’élève ont été « manipulés » tout en reconnaissant que ses services « auraient pu attendre un peu que l’école soit finie ». « Je ne suis pas là pour faire du chiffre », se défend-il. La directrice de l’école maternelle affirme, elle, qu’elle n’était pas présente le jour de la venue de la police. Elle confirme que « le capitaine est entré sur invitation de quelqu’un de l’école ». Mais, dit-elle, « je ne peux pas vous en dire plus. Adressez-vous à l’inspectrice d’académie de l’Isère, elle nous a demandé d’être prudents. Nous avons un droit de réserve ».

Une école de moins en moins sanctuaire

Plusieurs questions restent en suspens : si les parents étaient « volontaires » pour retourner en Allemagne, comme l’affirme la préfecture, pourquoi les fonctionnaires de police n’ont-ils pas attendu la fin des cours pour fixer un rendez-vous à la famille ? Le besoin de se réchauffer du froid suffit-il à expliquer le fait d’entrer dans l’école ? Pour quelle raison la responsable de l’école a-t-elle « invité » le capitaine de police à franchir la porte de l’établissement alors que rien ne l’y obligeait ?

L’histoire de la famille Kurtishi s’inscrit dans un contexte où le principe de l’école comme sanctuaire est insidieusement mis en cause ces dernières années, malgré les engagements répétés du gouvernement. Depuis Jules Ferry, l’instruction est gratuite et obligatoire pour tous les enfants, quelle que soit la situation administrative des parents. Contrevenant à leurs obligations, les services municipaux demandent parfois, lors des inscriptions, des documents justifiant la légalité du séjour en France. En octobre dernier, une mère sans papiers a ainsi été convoquée au commissariat après avoir été dénoncée par un employé de la mairie du Ve arrondissement de Paris.

L’école, par ailleurs, est censée être protégée de l’intrusion des forces de l’ordre. Une circulaire du 29 mai 1996 de l’Éducation nationale (n°96-156 - BO n°23 du 6 juin 1996) précise que c’est au proviseur, au principal ou au directeur d’école qu’il revient d’apprécier si « des personnes tierces au service » peuvent entrer à l’intérieur de l’établissement. Au regard de ce texte, la seule obligation légale d’ouvrir les portes à des agents de police concerne une intervention fondée sur commission rogatoire d’un juge d’instruction ou dans le cadre d’un flagrant délit. Ce qui n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’aller chercher des enfants pour qu’ils soient reconduits à la frontière avec leurs parents. En mars 2007, une directrice d’école à Paris s’est ainsi opposée aux forces de l’ordre venues interpeller un grand-père en situation irrégulière à la sortie des classes. Accusée d’outrage et de dégradations sur une voiture de police, elle avait été longuement placée en garde à vue. Face aux protestations de la plupart des candidats à la présidentielle, alors en campagne, les poursuites avaient été abandonnées et le ministère de l’intérieur indiquait peu après aux préfets qu’aucune mesure d’éloignement d’étrangers sans papiers ne devait donner lieu à des interpellations dans les écoles ou à leur proximité.

Enfin, à la suite d’une intense mobilisation depuis 2004 par RESF, Nicolas Sarkozy s’était engagé, en 2006, à ce qu’il n’y ait pas de reconduites à la frontière pendant l’année scolaire en cours. Un principe qui n’a été considéré comme valable que pendant un an. L’année suivante, Brice Hortefeux a craint, en septembre, que les objectifs de retours forcés ne soient pas atteints. Au même moment, l’inspecteur d’Académie du Haut-Rhin envoyait aux 850 écoles des départements un mail leur demandant de signaler les élèves scolarisés sans papiers.


http://www.mediapart.fr/...

samedi 6 décembre 2008.

http://www.educationsansfrontieres.org/article16839.html

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