10 octobre 2009

Petite histoire

Aujourd'hui samedi 10 octobre 2009 j'ai travaillé une petite heure comme interprète lors d'une audience du tribunal administratif de Nîmes. Il s'agissait du recours de deux Libériennes contre leur arrêté d'expulsion émis par le préfet. L'une d'elles au moins ne sait ni lire ni écrire, l'autre a une énorme cicatrice sur le visage, toutes les deux parlent anglais. Le recours a été rejeté. Elles sont retournées au centre de rétention de Nîmes où je vais essayer d'aller les voir mercredi, sans savoir si elles y seront encore.
C'est la CIMADE qui s'occupe de leurs démarches. Il est très difficile de connaitre la vérité sur leur situation, parce qu'elles parlent très peu. Elles disent que leur famille a été tuée et qu'elles risquent leur vie si elles retournent au Libéria. Le recours a été rejeté sur le motif qu'elles n'ont pas explicitement fait de demande d'asile (alors qu'elles ne savent pas ce que cela veut dire) et qu'elles n'apportent pas de preuves que leur famille a été tuée et que leur vie serait menacée en cas de retour dans leur pays.
La collaboratrice de la CIMADE présente à l'audience m'a expliqué ce qui s'était vraisemblablement passée car elle connait de nombreuses situations similaires. Après l'assassinat de leur famille, "un gentil monsieur" les a mises sur un bateau, probablement en lui promettant l'Eldorado. Un autre "gentil monsieur" les a pêchées à l'arrivée en France et envoyées à Nîmes où encore un autre "gentil monsieur" les a "recueillies" et mises sur le trottoir pour "travailler". Elles sont hébergées à l'hôtel, auquel elles payent un loyer astronomique, qui correspond en fait à ce qu'elles payent au mac. Ce sont souvent les macs qui les aident à remplir leur demande d'asile. Sauf que ces mêmes macs doivent être introuvables lorsque les flics cherchent à remplir leurs quotas d'expulsions. Donc ce sont elles qu'ils embarquent. Ces femmes sont traumatisées par ce qu'elles ont vécu dans leur pays, arrivées ici elles sont les victimes des réseaux, elles ont certainement honte d'être sur le trottoir, elles n'ont évidemment aucun papier ; résultat elles ne parlent pas et il est donc difficile de les aider.
De celles que j'ai vues aujourd'hui, l'une est arrivée en France le 14 septembre ; elle avait l'air terrorisée, elle a pleuré à l'annonce du verdict (que j'ai dû lui traduire) ; l'autre est là depuis plus longtemps, elle a l'air plus endurci.

Sont donc impliqués dans ce genre d'histoire, en vrac : ceux qui massacrent des familles libériennes, ceux qui abusent de la situation des filles survivantes, ceux qui les mettent sur les bateaux (et le capitaine du bateau ?), ceux qui les récupèrent et qui les envoient dans d'autres villes, ceux qui les exploitent, les tenanciers d'hôtel qui ferment les yeux, les clients qui payent pour les "services" de ces femmes, les policiers qui les pêchent sur le trottoir, le ministre de l'intérieur et le chef de l'Etat qui mettent en place des quotas d'expulsions, la majorité des Français qui a voté pour qu'un tel gouvernement puisse être mis en place, le préfet qui signe les arrêtés d'expulsion, les policiers chargés de la garde à vue qui font dire aux femmes ce qu'il faut, le magistrat qui rejette la demande d'annulation de l'arrêté d'expulsion, l'Etat qui autorise des organisations telles que la CIMADE à travailler dans un cadre prévu par la loi pour la protection des demandeurs d'asile mais sans leur fournir les moyens suffisants (en personnel et en formation) pour qu'elles mènent à bien leur mission, Fabienne qui n'a pas voté mais qui doit expliquer à ces deux femmes que l'issue de leur situation n'est pas (encore) désespérée.
Acceptons-nous ?

1 commentaire:

Anaël Assier a dit…

Bonjour, je suis abonné chez vous.
Merci de votre sincérité. Vous décrivez à merveille la réalité. Quant à la solution, une grosse partie se trouve dans votre omission.
Le droit de vote !
Le passé est le passé, inutile de culpabiliser, mais le bouddha quand il pouvait arrêter une guerre, il ne s'en privait pas. (Si je me souviens bien, voir l'épisode ou il croise des armées...) Assurément, aujourd'hui, il aurait été voter !
Quand je repense a certains moines qui se sentent détaché de cette réalité alors que le luxe qui leur est accordé dépend avant tout de la relative bienveillance d'une démocratie bâti grâce à des hommes et des femmes qui ont donnés leur vie pour cela.

Ou sont les bodhisattvas ?

Qui sont les bodhisattvas ?

C'est trop violent de se bouger son cul de son coussin pour aller voter ? Ils ont-ils peur d'endommager leur vœux en allant "violenter" l'urne ?
Quel manque de conscience.

Ma question : A quoi sert la pratique de la méditation si elle n'amène même pas ce genre de petite réalisation ?